Camus pour l’Artothèque d’Evry
C’est accompagné des oeuvres d’Albert Camus, que j’ai parcouru en 2013 les rues d’ Evry pour y composer les photographies de mon exposition « Camus ». Essais philosophiques, romans ou pièces de théâtre, la profondeur de la pensée de Camus évoque des images de révoltes contre l’injustice et la violence, des rêves de nature et de corps, un sentiment de l’absurde vaincu par le désir. Evry fut la scène où j’ai transposé ces passions, au sein de la cité, du béton ou encore de la forêt en bord de Seine. Les personnages et leurs gestes, le paysage et l’architecture, les objets et la lumière construisent le souvenir d’un livre.
Une création en réponse à une commande de La Communauté d’agglomération Evry Centre Essonne, pour l’inauguration de la médiathèque Albert Camus.
Un achat de l’ Artothèque d’Evry.
Avec la participation des comédiens de l’ EDT 91, et notamment du groupe 8
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Extrait
l’étranger/fin:
« Non, mon fils, a-t-il dit en mettant la main sur mon épaule. Je suis avec vous. Mais vous ne pouvez pas le savoir parce que vous avez un cœur aveugle. Je prierai pour vous ».
Alors, je ne sais pas pourquoi, il y a quelque chose qui a crevé en moi. Je me suis mis à crier à plein gosier et je l’ai insulté et je lui ai dit de ne pas prier. Je l’avais pris par le collet de sa soutane. Je déversais sur lui tout le fond de mon cœur avec des bondissements mêlés de joie et de colère. Il avait l’air si certain, n’est-ce pas ? Pourtant, aucune de ses certitudes ne valait un cheveu de femme. Il n’était même pas sûr d’être en vie puisqu’il vivait comme un mort. Moi, J’avais l’air d’avoir les mains vides. Mais j’étais sûr de moi, sûr de tout, plus sûr que lui, sûr de ma vie et de cette mort qui allait venir. Oui, je n’avais que cela. Mais du moins, je tenais cette vérité autant qu’elle me tenait. J’avais eu raison, j’avais encore raison, j’avais toujours raison.
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Photographie de la série "Camus" réalisée à partir de textes de l'écrivain Albert Camus. Accompagnée pour son exposition du texte suivant:
" Il n'y a qu'un problème philosophique vraiment sérieux : c'est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas la peine d'être vécue, c'est répondre à la question fondamentale de la philosophie. Le reste, si le monde a trois dimensions, si l'esprit a neuf ou douze catégories, vient ensuite."
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La chute, page 12
« Allons, ne cherchez plus. Mon métier est double, voilà tout, comme la créature. Je vous l’ai déjà dit, je suis juge-pénitent. Une seule chose est simple dans mon cas, je ne possède rien. Oui, j’ai été riche, non, je n’ai rien partagé avec les autres. Qu’est-ce que cela prouve ? Que j’étais aussi un saducéen… Oh ! entendez-vous les sirènes du port ? Il y aura du brouillard cette nuit, sur le Zuyderzee. »
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« La solitude ! Mais non, Scipion. Elle est peuplée de grincements de dents et tout entière retentissante de bruits et de clameurs perdues. Et près des femmes que je caresse, quand la nuit se referme sur nous et que je crois, éloigné de ma chair enfin contentée, saisir un peu de moi entre la vie et la mort, ma solitude s’emplit de l’aigre odeur du plaisir aux aisselles de la femme qui sombre encore à mes côtés. »
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« Entré dans l’eau, c’est le saisissement, la montée d’une glu froide et opaque, puis le plongeon dans le bourdonnement des oreilles, le nez coulant et la bouche amère – la nage, les bras vernis d’eau sortis de la mer pour se dorer dans le soleil et rabattus dans une torsion de tous les muscles ; la course de l’eau [16] sur mon corps, cette possession tumultueuse de l’onde par mes jambes – et l’absence d’horizon. Sur le rivage, c’est la chute dans le sable, abandonné au monde, rentré dans ma pesanteur de chair et d’os, abruti de soleil, avec, de loin en loin, un regard pour mes bras où les flaques de peau sèche découvrent, avec le glissement de l’eau, le duvet blond et la poussière de sel. »
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« Quand Janine rentra, avec les mêmes précautions, Marcel n’était pas réveillé. Mais il grogna quand elle se coucha et, quelques secondes après, se dressa brusquement. Il parla et elle ne comprit pas ce qu’il disait. Il se leva, donna la lumière qui la gifla en plein visage. Il marcha en tanguant vers le lavabo et but longuement à la bouteille d’eau minérale qui s’y trouvait. Il allait se glisser sous les draps quand, un genou sur le lit, il la regarda, sans comprendre. Elle pleurait, de toutes ses larmes, sans pouvoir se retenir. » Ce n’est rien, mon chéri, disait-elle, ce n’est rien. »
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Délicieuse angoisse d’être, proximité exquise d’un danger dont nous ne connaissons pas le nom, vivre, alors, est-ce courir à sa perte ? A nouveau, sans répit, courons à notre perte.
J’ai toujours eu l’impression de vivre en haute mer, menacé, au cœur d’un bonheur royal." 1953
L’Eté, La Mer au plus près, Journal de bord